L’employeur peut-il installer des caméras-vidéos sur les lieux du travail pour des raisons opérationnelles?  Telle est la question  se posant dans l’affaire Syndicat des travailleurs de Continental Asphalte (C.S.N.). et 9163-7272 Québec inc. (division de Construction DJL inc.), AZ-51013413, rendue le 26 septembre 2013 par l’arbitre Nicolas Cliche.

L’arbitre est saisi d’un grief du syndicat qui réclame le retrait des caméras-vidéos installées sur l’immense site de la compagnie.

En premier lieu, l’arbitre accueille le moyen préliminaire présenté par l’employeur portant sur le délai entre l’installation des caméras-vidéos (2003) et le dépôt du grief (2010).

En second lieu, l’arbitre est d’avis que les caméras-vidéos ont été installées pour des raisons opérationnelles sans contravention à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (Charte).

Faits 

L’entreprise exploite un immense site d’enrobés bitumineux. En 2003, elle décide d’installer 6 caméras-vidéos. En 2007, 4 caméras additionnelles sont installées. Les caméras sont fixes et sans téléobjectif. Elles captent des images permettant à l’entreprise de contrôler le flux du transport des marchandises, l’entrée et la sortie du site et les opérations effectuées dans le garage. Le grief du syndicat est déposé en 2010, 7 ans après l’installation des premières caméras-vidéos. Dans l’intervalle, trois conventions collectives sont signées entre les parties. Les caméras-vidéos n’ont jamais été un enjeu lors des périodes de négociation. Les parties en ont discuté à l’occasion, lors de réunions du comité des relations du travail. Aucun salarié n’a reçu une mesure disciplinaire découlant de l’utilisation des caméras-vidéos, bien qu’un salarié se soit fait reprocher de prolonger ses pauses-repos et repas. Par ailleurs, une caméra installée en 2003 dans la cafétéria des salariés a été enlevée, puisqu’elle n’avait aucune utilité opérationnelle.

Le moyen préliminaire fondé sur la tardiveté du grief

L’employeur soulève un moyen préliminaire fondé sur le délai entre l’installation des caméras-vidéos (2003 et 2007) et le dépôt du grief (2010). L’arbitre accueille ce moyen préliminaire. Il justifie sa décision par le fait que les salariés et le syndicat savaient qu’il y avait des caméras-vidéos depuis 2003 et que le sujet a fait l’objet de discussions à des réunions du comité des relations du travail. En outre, trois conventions collectives ont été signées entre les parties depuis l’installation des caméras-vidéos et il précise que le syndicat a eu trois chances d’en parler lors des négociations desdites conventions collectives. L’arbitre conclut en écrivant qu’il y a « estoppel », pratique passée acceptée depuis 7 ans sous l’emprise de plusieurs conventions collectives.

Le fond

Même s’il n’avait pas à disposer du fond du litige, l’arbitre décide néanmoins de poursuivre son analyse pour, dit-il, « aider les travailleurs dans leurs démarches futures » de négociation de la convention collective.

Pour l’arbitre, les caméras-vidéos installées le sont pour des motifs opérationnels. L’entreprise possède de nombreux équipements fort coûteux et les caméras-vidéos visent la protection des lieux et la vérification de la circulation. Elles vérifient l’entrée des visiteurs, leurs sorties et le matériel se trouvant à bord des camions.

Quant à l’atteinte des droits des salariés, l’arbitre ne voit aucune atteinte à leur dignité et il opine que le droit à des conditions de travail justes et raisonnables prévu à l’article 46 de la Charte n’est pas enfreint. À ce titre, il souligne que les caméras-vidéos présentent une vue d’ensemble, elles ne sont pas là pour embêter les travailleurs et qu’elles n’ont jamais été utilisées pour sanctionner disciplinairement le comportement d’un salarié.

Attention : l’arbitre précise toutefois que sa décision pourrait être différente si une caméra-vidéo était installée sur un poste de travail précis, à un endroit précis pour filmer sans arrêt un salarié.

En regard du droit à la vie privée, l’arbitre précise qu’un salarié « circulant dans le garage à réparer de l’équipement n’a plus vraiment de vie privée, dans le sens où il est vu par ses compagnons de travail et par le contremaître ». Son droit à la vie privée serait toutefois enfreint dans l’hypothèse où les caméras vidéo visaient un poste de travail ou un salarié en particulier.

Alors, qu’en est-il?

Cette décision met en relief la possibilité pour un employeur de faire valoir, en défense à un grief tardif, un moyen de droit fondé sur l’inaction du syndicat et l’écoulement du temps. L’arbitre rejette ici le grief, parce qu’à la base, un trop long délai s’est écoulé entre l’initiative utilisée par l’employeur et la contestation du  syndicat.

Quant au fond du dossier, l’arbitre précise que l’existence de caméras-vidéos dans un établissement ne contrevient pas aux droits et libertés des salariés lorsque l’employeur est en mesure d’établir clairement que des motifs strictement opérationnels en justifient la présence. Bien entendu, la justification et la nécessité d’utiliser des caméras aux fins de la protection des biens et des personnes sont sujettes à l’appréciation de l’arbitre.

C’est donc du cas par cas. La prudence s’impose.