En novembre l’an dernier, la Fédération des syndicats de l’enseignement (ci-après « FSE ») faisait connaître ses demandes syndicales en vue de l’année de négociation nationale qui débutait pour les enseignantes et enseignants québécois (ci-après « les enseignants »). Parmi ses demandes, se retrouvaient entre autres : plus d’autonomie pour le personnel enseignant, du temps et des services pour les élèves (diminution du ratio maîtres-élèves, pondération des élèves avec troubles de comportement, ajout de ressources enseignantes, etc.) et une meilleure équité pour les jeunes enseignants et pour celles et ceux à statut précaire.
Afin de faire entendre leurs revendications, plusieurs moyens de pression sont exercés depuis le début de l’année scolaire par les enseignants et ce, sans qu’aucun avis préalable de grève n’ait été transmis au sens de l’article 111.11 du Code du travail.
Le plan de mobilisation mis sur pied par la FSE suggère notamment de prolonger les temps de récréation, tant au primaire où la durée des récréations est prolongée de 10 minutes, qu’au secondaire où les pauses entre les cours sont allongées de 10 minutes. Cette action a généralement lieu une fois par jour, de deux à quatre fois par semaine, mais le choix est laissé au syndicat local et aux enseignants de l’exercer, ce qui permet une adaptation lorsque des circonstances le nécessitent (comme une période d’examen, par exemple).
Or, le 23 octobre dernier, la Commission des relations du travail (ci-après « la CRT ») a reçu une demande conjointe d’intervention du Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones et de la Fédération des commissions scolaires du Québec, alléguant que les moyens de pression exercés, soit la prolongation des temps de récréations/pauses, portaient préjudice à un service auquel les élèves et leurs parents ont droit. En effet, le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire prévoit un nombre d’heures d’enseignement pour chaque matière ainsi que le nombre d’heures total auquel a droit l’élève à titre de services éducatifs. Or, ce nombre d’heures est impératif, ne peut être utilisé à d’autres fins sauf lorsque le régime pédagogique le prévoit et une école souhaitant y déroger doit obtenir la permission du ministre.
La partie patronale invoque que cette situation a un impact négatif sur l’apprentissage et touche plus durement les élèves en difficultés, pose des problèmes disciplinaires et de sécurité, amplifie les conflits et augmente la consommation de drogue et l’absentéisme, tout en incitant les élèves à ne pas respecter les horaires et en fragilisant le cadre éducatif nécessaire à la motivation des élèves. La partie syndicale, quant à elle, rappelle que les enseignants disposent d’une large autonomie professionnelle, que la situation permet une relation privilégiée avec les élèves, permettant d’ouvrir les ponts de discussion, et que le temps d’enseignement prévu dans le régime pédagogique n’est qu’indicatif et octroie une certaine flexibilité aux enseignants.
Dans les motifs de sa décision, la commissaire Line Lanseigne explique son raisonnement comme suit :
[50] Pour les enseignants du secteur public, le législateur n’a pas prévu le maintien de services essentiels et aucun service ne doit être obligatoirement maintenu lors de l’exercice légal de leur droit de grève. Dans pareil cas, la Commission n’a donc pas compétence pour assurer le maintien de services.
[51] Il en est autrement lorsqu’il s’agit d’un conflit entre les parties en dehors de l’exercice légal du droit de grève, comme c’est le cas dans la présente affaire. La Commission a alors compétence pour intervenir si elle en vient à la conclusion qu’il existe un conflit entre les parties, que ce conflit se traduit par des actions concertées et, finalement, que ces actions concertées portent préjudice ou sont susceptibles de causer préjudice à un service auquel la population a droit.
La commissaire conclut ensuite rapidement à la présence d’un conflit, d’actions concertées et à la contravention par les enseignants au régime pédagogique prévu par la loi. Elle rappelle qu’en dehors de l’exercice légal du droit de grève, le législateur interdit tout ralentissement de travail. Elle conclut ainsi que la prolongation des récréations ne respecte pas le temps d’enseignement des matières prévu et contrevient à la convention collective et à la Loi sur le l’instruction publique. Elle tire donc la conclusion que le moyen de pression exercé par les enseignants porte inévitablement préjudice à un service auquel ont droit les élèves et ordonne à la FSE et aux enseignants de fournir leur prestation normale de travail.
Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette situation et de voir comment la FSE et les enseignants s’adapteront à cette nouvelle réalité relative à leurs moyens de pression.
**Merci à Mme Kenza Sassi, stagiaire, Norton Rose Fulbright, Québec, pour sa collaboration à la préparation du présent article.