Dans une décision rendue le 2 juillet 2020[1], la Cour d’appel du Québec (la Cour d’appel) statue que l’obligation d’accommodement raisonnable ne devrait pas se limiter au maintien du lien d’emploi, mais qu’elle devrait plutôt tendre à offrir au salarié – sans toutefois lui garantir – des conditions de travail similaires et des gains comparables à ceux de son emploi originel, et ce, dans la mesure où cela n’impose pas à l’employeur une contrainte excessive. Il convient de préciser que cette décision a été rendue dans un contexte particulier de fusion d’entreprises, de sorte que, dans l’issue du litige, les pratiques passées de chacune des entités juridiques fusionnées ont joué un rôle important.
Les faits de cette affaire
Au retour de son arrêt de travail pour maladie, la salariée, représentée par son syndicat, signe une entente d’accommodement avec l’employeur en raison de son incapacité à occuper son poste originel d’infirmière auxiliaire. Par cette entente, l’employeur s’engage à réintégrer la salariée au poste d’agente administrative, sous réserve d’une période d’essai. En contrepartie, la salariée et le syndicat reconnaissent que l’employeur a rempli son obligation d’accommodement raisonnable. L’entente est cependant muette quant à la reconnaissance de l’expérience de la salariée aux fins de la détermination de l’échelle salariale et quant au salaire applicable. Il convient de noter que la salariée travaillait pour l’employeur depuis quatorze ans.
Puis, après sa réintégration, l’employeur classe la salariée au premier échelon salarial d’agente administrative, et ce, en raison de son absence d’expérience dans ce poste. La salariée, qui subit ainsi une lourde perte salariale, décide de contester cette décision de l’employeur. Par grief, elle demande essentiellement d’être classée au dernier échelon de l’échelle salariale du poste en question.
L’arbitre accueille le grief[2], mais, à la suite d’une demande de pourvoi en contrôle judiciaire présentée par l’employeur, cette décision est révisée par la Cour supérieure[3]. La Cour supérieure conclut essentiellement que l’obligation d’accommodement raisonnable vise uniquement le maintien du lien d’emploi et qu’elle n’a donc pas de composante financière; c’est pourquoi elle rejette le grief. Le syndicat se pourvoit en appel de cette décision.
Conclusions de la Cour d’appel
La Cour d’appel, jugeant la sentence arbitrale initialement rendue raisonnable et confirmant ainsi le grief, accueille l’appel et rejette la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de l’employeur. Elle conclut que, lors de tout exercice sérieux d’accommodement, les conditions d’emploi doivent être envisagées, de sorte que, contrairement aux conclusions de la Cour supérieure, l’employeur ne doit pas se limiter au seul maintien du lien d’emploi.
Dans son analyse, la Cour d’appel constate que l’employeur, avant sa fusion, avait comme pratique passée d’attribuer l’échelon comportant le salaire le plus près de celui reçu par la personne visée par la mesure d’accommodement. La preuve révélait d’ailleurs que cette pratique avait été délaissée aux seuls fins d’harmonisation administrative après la fusion et non parce qu’elle constituait une contrainte excessive. La Cour d’appel précise également que la recherche d’un accommodement raisonnable devrait transcender les termes de la convention collective lorsqu’il n’en résulte pas pour l’employeur une contrainte excessive. Or, ce n’est pas parce que les parties s’éloignent de son texte qu’il y a dénaturation du contrat de travail.
Après une analyse contextuelle et individualisée, la Cour d’appel tranche que l’accommodement raisonnable devrait se traduire, en l’espèce, par l’octroi du dernier échelon salarial à la salariée, considérant notamment que la différence de traitement entre le premier et le dernier échelon ne représentait pas pour l’employeur un coût élevé en comparaison avec la perte financière subie par la salariée en raison de son changement de poste.
Finalement, la Cour d’appel mentionne qu’il était raisonnable de conclure que l’entente signée entre les parties constituait une transaction au sens du Code civil du Québec, mais que le grief de la salariée n’avait pas été réglé par cette entente. En effet, les clauses d’un contrat comprennent uniquement ce sur quoi il paraît que les parties se sont proposé de contracter. Or, en l’espèce, l’entente était silencieuse quant à la reconnaissance de l’expérience de la salariée aux fins de la détermination de l’échelle salariale ainsi quant au salaire applicable.
Ce qu’il faut retenir
À la lumière de cette décision, la Cour semble trancher que l’obligation en matière d’accommodement raisonnable peut ne pas se limiter à trouver des solutions qui garantissent uniquement le maintien du lien d’emploi. En effet, on en déduit que l’employeur pourrait être mieux placé s’il tend à offrir au salarié atteint d’un handicap des conditions de travail similaires et des gains comparables à ceux de son emploi originel, sauf si la solution envisagée représente une contrainte excessive.
Il en découle ainsi, notamment, que pour les compagnies résultantes d’une fusion, les pratiques passées des compagnies fusionnées qui pourraient avoir un impact sur l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur devraient être considérées dans la mesure où celles-ci ne représentent pas une contrainte excessive. Cela étant, une harmonisation administrative des pratiques passées à la suite d’une fusion ne constitue pas un moyen de défense valable pouvant exonérer l’employeur de cette obligation.
Notes en bas de page
[1] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec — Université Laval, 2020 QCCA 857.
[2] CHU de Québec et Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), T.A., 26 janvier 2018, Denis Tremblay.
[3] CHU de Québec — Université Laval c. Tremblay, 2018 QCCS 4458.