Plusieurs employeurs se questionnent quant à la surveillance électronique qu’ils peuvent effectuer auprès de leurs employés, notamment dans un contexte de télétravail en hausse.

Le 7 février 2022, la Cour supérieure du Québec, appliquant la norme de la décision raisonnable, a confirmé[1] une sentence arbitrale rendue le 3 août 2020[2] concluant à la légalité de la surveillance électronique effectuée par la Ville de Montréal (Employeur) auprès de ses employés.

Cette décision met en lumière la confrontation entre le droit à la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables des employés protégés par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte) et le droit de l’employeur de surveiller la prestation de travail de ses employés. 

Le contexte 

L’Employeur effectue une surveillance électronique de ses employés dans l’utilisation des appareils qu’il met à leur disposition pendant les heures de travail, et ce, à l’aide d’un logiciel de sécurité informatique qui enregistre et produit un journal quotidien des consultations effectuées par ses employés sur des sites Internet.  La preuve établit que le journal quotidien contient des informations limitées et que les employés ne sont pas identifiés par leur nom.

Le syndicat prétend que l’utilisation du logiciel consiste en une surveillance constante ou continue des employés, portant ainsi atteinte à leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables et à la vie privée protégés par la Charte.

Le cadre d’analyse 

Concernant le droit à des conditions de travail justes et raisonnables, dans un contexte de surveillance, le syndicat doit établir une atteinte prima facie. Il doit démontrer que la surveillance est constante ou continue, ce qui sera notamment le cas lorsque la surveillance capte le milieu de travail de l’employé sans interruption, au point de « nourrir une impression d’être épiée au moindre geste au cours de la journée de travail ».

Quant au droit à la vie privée, le syndicat doit établir le niveau d’expectative de vie privée auquel l’employé peut s’attendre dans son milieu de travail en lien avec l’atteinte alléguée. Selon le cas, le tribunal doit déterminer si l’employé a une attente subjective raisonnable du respect de sa vie privée. Il est établi que le droit à la vie privée existe de manière restreinte dans un milieu de travail et que l’utilisation du matériel fourni par l’employeur le limite significativement.

Dans les deux cas, lorsque le syndicat démontre qu’il y a eu atteinte à un droit protégé par la Charte, il y a renversement du fardeau de preuve.

L’employeur doit alors justifier cette atteinte en établissant :

  • qu’il a un motif raisonnable, réel et sérieux, et donc rationnel se livrer à une telle surveillance;
  • que le moyen utilisé par l’employeur est proportionnel à ce motif, de manière à ce qu’il soit le moins intrusif possible.

La décision 

La Cour supérieure confirme que la décision rendue par l’arbitre est raisonnable. Il convient ainsi de rappeler les conclusions de l’arbitre :

  • Le logiciel de sécurité informatique utilisé par l’employeur et les rapports générés par celui-ci ne peuvent être qualifiés comme étant une surveillance constante et continue des employés. Ainsi, le syndicat ne peut prétendre à une condition de travail déraisonnable.
  • Le syndicat ne peut pas prétendre à une atteinte au droit à la vie privée des employés considérant que l’employeur a mis en place plusieurs directives afin de rappeler aux employés les règles d’utilisation des appareils qu’il met à leur disposition ainsi que son droit d’en vérifier et contrôler l’utilisation.
  • L’arbitre souligne que la cueillette de données brutes  (les employés ne sont pas identifiés par leurs noms) qui sont recueillies par le logiciel pour déterminer la durée, le nombre ou le type d’utilisation des moyens de communication offerts par tout employeur fait partie inhérente de son contrôle normal, et que ces données ne relèvent pas de la sphère intrinsèquement personnelle d’un employé; il ne peut avoir « d’attente subjective raisonnable quant au caractère privé de ce genre d’informations vis-à-vis de l’Employeur »

L’arbitre ajoute que dans l’éventualité où il y aurait eu une atteinte, celle-ci serait justifiée par l’employeur qui a démontré la nécessité de protéger ses données et systèmes informatiques et établi le lien proportionnel entre l’objectif de sécurité poursuivi et l’utilisation du logiciel.

À retenir

Avant d’utiliser des logiciels de surveillance électronique, les employeurs devraient réaliser une analyse en amont afin d’être en mesure de justifier tant les raisons motivant son utilisation que la façon dont elle est réalisée et d’ainsi en assurer la légalité.

Les employeurs ont intérêt à encadrer, par le biais de politiques claires, l’utilisation d’Internet et des équipements informatiques qu’ils mettent à la disposition de leurs employés dans le cadre de leur travail et d’aviser les employés qu’ils peuvent vérifier et contrôler cette utilisation.

L’auteure désire remercier Noémie Célestin-Plante, étudiante en droit, pour son aide dans la préparation de cet article.


[1] Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal (SPPMM) c. Flynn (C.S., 2022-02-07), 2022 QCCS 363

[2] Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal (SPPMM) et Ville de Montréal (grief syndical), (T.A., 2020-08-03), SOQUIJ, AZ-51699092