Le 23 mars dernier, dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire de Montréal, 2022 QCCA 398, la Cour d’appel du Québec a déterminé que la légalité de l’utilisation d’un formulaire médical pré-embauche par un employeur est une question qui relève de la juridiction exclusive de l’arbitre de griefs.
Le contexte et le jugement de la Cour supérieure
En 2019, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la CDPJ) a déposé une demande d’autorisation à la Cour supérieure afin d’exercer une action collective contre la Commission scolaire de Montréal (la CSDM) en lien avec l’utilisation d’un questionnaire médical pré-embauche que tous les postulants avaient eu l’obligation de remplir. La CDPJ réclame 10 000$ à titre de dommages moraux et punitifs à la CSDM pour chaque personne ayant posé sa candidature.
En première instance, la Cour supérieure a accueilli le moyen déclinatoire soulevé par la CSDM et a décliné compétence sur l’action collective au motif que les questions soulevées par la CDPJ relevaient de la juridiction exclusive de l’arbitre de griefs. Quant aux candidats qui n’ont pas été embauchés et qui sont des tiers aux conventions collectives, le juge de première instance a tranché que leur seule inclusion au groupe de l’action collective n’était pas suffisante pour faire survivre ce recours.
Dans le cadre du présent pourvoi en Cour d’appel, la CDPJ contestait la juridiction de l’arbitre de griefs et prétendait essentiellement que l’action collective ne visait pas des syndiqués, puisque l’utilisation du questionnaire précédait toute relation d’emploi et visait les postulants à un nouvel emploi.
La décision sur le fond
Dans une décision unanime, la Cour d’appel confirme la décision de la Cour supérieure.
En effet, la Cour réitère que la compétence d’un arbitre de griefs est large et ne saurait se limiter au seul texte d’une convention collective. Plutôt, cette compétence s’étend à tout différend dont l’essence relève expressément ou implicitement de l’interprétation d’une convention collective.
En l’espèce, la Cour identifie l’essence fondamentale du litige comme portant sur le droit de gérance d’un employeur dans le cadre des conditions de travail négociées, lesquelles, interprétées largement, comprennent le processus d’embauche des salariés. Quant aux formulaires pré-embauche, ceux-ci doivent être considérés dans leur contexte et ne peuvent ainsi être dissociés du processus d’embauche.
Sur l’existence d’un lien entre ce fondement du litige et les conventions collectives concernées, la Cour souligne que leurs différentes dispositions abordent expressément le processus d’embauche. Effectivement, elles prévoient que les salariés pourront perdre leur emploi en cas d’omission ou de fausse déclaration au moment de la pré-embauche. Néanmoins, la Cour explique que les conventions collectives abordent aussi implicitement le processus d’embauche en couvrant l’engagement et l’affichage de postes, assujettissant ainsi l’utilisation des questionnaires à la portée des conventions collectives et à la compétence exclusive de l’arbitre de griefs malgré l’absence de dispositions expresses à cet égard.
Enfin, bien qu’elle reconnaît que la compétence personnelle de l’arbitre se limite aux personnes couvertes par les conventions collectives et non aux tiers, la Cour d’appel tranche qu’il n’est pas nécessaire que l’arbitre ait compétence sur tous les membres éventuels d’une action collective pour écarter la juridiction de la Cour supérieure.
À retenir
De manière unanime, la Cour d’appel confirme que la compétence de l’arbitre de griefs est suffisamment large pour couvrir toute question découlant du processus d’embauche, pourvu qu’elle aborde une matière visée par la convention collective et implique des salariés régis par celle-ci.
En contexte de pré-embauche, les questionnaires et formulaires adressés aux candidats relèvent du droit de gérance de l’employeur. Ainsi, lorsqu’une convention collective aborde expressément les informations obtenues dans ces documents ou encadre autrement de manière implicite le processus d’embauche, leur utilisation par des postulants devenus salariés est une question qui relève exclusivement de la compétence de l’arbitre de griefs.
Ces enseignements de la Cour d’appel invitent les employeurs qui utilisent de tels formulaires à redoubler de prudence, puisque toute mésentente quant à leur interprétation ou à leur application pourrait justifier l’introduction d’un grief syndical.
L’auteure désire remercier Pascal-Olivier Pelchat, stagiaire en droit, pour son aide dans la préparation de cet article.