Dans une décision du 30 septembre 2020, la Cour de cassation revient une nouvelle fois sur le sort des salariés transférés dans le cadre d’un transfert partiel d’entreprise.

Lorsqu’une partie de l’activité d’une entreprise est transférée à un repreneur, il convient de vérifier si les salariés transfèrent également à ce repreneur. Aux termes de l’article L1224-1 du Code du travail, le contrat de travail des salariés attachés à cette activité est automatiquement transféré au repreneur si une entité économique autonome est transférée.

L’entité économique autonome est définie par une jurisprudence constante comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre. Derrière cette définition quelque peu rébarbative, il s’agit en réalité d’apprécier si l’activité que le cédant souhaite transférer est bien détachable du reste de son activité, si des actifs permettant son fonctionnement sont bien transférés ou mis à la disposition du repreneur et si l’activité va se poursuivre dans des conditions similaires.

Si tel est bien le cas, le contrat de travail des salariés attachés à cette activité est transféré de plein droit et automatiquement au repreneur. Ces transferts de contrat s’imposent à toutes les parties (cédant, salariés et repreneur).

La particularité d’un transfert partiel d’entreprise tient souvent au fait que des salariés peuvent n’être affectés que partiellement à l’activité transférée. Se pose donc la question du transfert de leur contrat de travail.

Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation a fait une application stricte des dispositions de l’article L1224-1 du Code du travail. Ainsi, dans de nombreux arrêts, il avait été décidé que le contrat de travail d’un salarié partiellement affecté à l’activité transférée ne transférait que pour la partie attachée à cette activité. Ainsi si un salarié consacrait 30% de son activité à l’activité transférée, alors son contrat de travail ne transférait qu’à hauteur de 30% au repreneur. Le salarié se retrouvait ainsi, bon gré mal gré, avec deux contrats de travail à temps partiel. Cette solution posait, bien entendu, de nombreuses difficultés tant aux salariés qu’aux entreprises concernées. En pratique, il était conseillé de trouver un accord avec le repreneur et avec chaque salarié concerné, ou alors, de procéder à des licenciements avec toutes les difficultés, coûts et contraintes que cela entraine en droit français.

Dans un arrêt du 30 mars 2010, la Cour de cassation modifiait sa jurisprudence et décidait que si un salarié consacrait l’essentiel de son activité à l’activité transférée, son contrat de travail était transféré en totalité au nouvel employeur. A l’inverse s’il n’exerçait pas l’essentiel de ses fonctions dans l’entité transférée, il demeurait chez le cédant pour la totalité de son contrat. Bien entendu cette solution pouvait également poser des difficultés, car le repreneur se trouvait contraint d’employer des salariés qui exerçait essentiellement son activité chez lui, mais pas à temps plein. Néanmoins, cette solution semblait plus gérable en pratique, et les employeurs s’accommodaient mieux de cette situation que d’avoir à gérer des salariés en temps partiel non choisi.

C’est donc dans la ligne de cette jurisprudence que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait décidé que le contrat de travail du salarié n’exerçant son activité sur l’activité transférée qu’à hauteur de 50% ne devait pas être transféré au cessionnaire, et par conséquent, que le salarié devait rester employé par le cédant.

Or, dans l’intervalle est intervenu un arrêt de la CJUE en date du 20 mars 2020, indiquant que le transfert de la totalité du contrat de travail basé sur la notion d’activité essentielle contrevenait aux droits du cessionnaire dans la mesure où il se voyait transféré un contrat à temps plein alors que le salarié concerné n’exerçait en réalité ses fonctions qu’à temps partiel. Selon la CJUE, il convient dans un tel cas de privilégier le transfert au prorata des fonctions exercées par le salarié. Elle précise néanmoins que si un tel transfert aboutit à une détérioration des droits du travailleur, ce contrat peut être résilié à l’initiative du repreneur.

C’est dans ce contexte que, reprenant pour partie cette décision de la CJUE, la Cour de cassation opère un nouveau revirement de jurisprudence et, dans sa décision du 30 septembre 2020, décide que « le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé,
sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive ».

Donc, loin d’utiliser cette nouvelle condition pour justifier un éventuel licenciement, la Cour de cassation reprend son ancienne jurisprudence en imposant au salarié d’avoir deux contrats à temps partiel. Elle ajoute en outre une condition imposant de vérifier, pour chaque salarié concerné, les conséquences sur ses conditions de travail d’une telle activité partielle tant chez le cédant que chez le repreneur, et l’existence d’une atteinte à ses droits ou encore d’une impossibilité à exercer son activité dans ces conditions.

Si la volonté de la Cour de cassation de ne pas imposer au repreneur d’employer un salarié à temps plein alors qu’en réalité celui-ci ne travaille qu’à temps partiel est louable, les conséquences pratiques d’une telle décision n’ont pas fini d’alimenter un contentieux qu’on peut craindre abondant et complexe.

Quand le mieux est l’ennemi du bien….