Résumé

La Cour supérieure (la « Cour ») a autorisé l’exercice d’une action collective entreprise au nom de tout bénéficiaire, y compris ses ayants droit, ses successeurs et ses héritiers, ayant été indemnisé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (« LATMP ») pour une maladie associée aux produits de l’amiante et ayant été avisé depuis le 1er janvier 2011 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») qu’un recours subrogatoire serait ou pourrait être entrepris auprès des fonds américains.

Dans cette affaire[2], la Cour devait répondre à la question de savoir si, après avoir versé une indemnité à un travailleur atteint d’une maladie professionnelle, la CNESST, exerçant postérieurement un recours subrogatoire pour recouvrer les sommes versées audit travailleur, avait-elle l’obligation d’informer ce dernier de l’existence et de l’exercice d’un tel recours ?

Les faits

Les demandeurs agissent à titre de liquidateurs de la succession de deux (2) travailleurs décédés de maladies associées à l’amiante et indemnisés par la CNESST en vertu des dispositions de la LATMP. Ils sollicitent l’autorisation de la Cour afin d’exercer une action collective contre la CNESST.

Au titre de l’article 446 LATMP, la CNESST dispose d’un recours subrogatoire légal dans les droits du bénéficiaire contre le responsable de la lésion professionnelle, jusqu’à concurrence du montant des prestations versées et futures.

Les demandeurs ont appris que, depuis le mois de janvier 2011, la CNESST mandate un bureau d’avocats américain afin de recouvrer auprès de différents fonds d’indemnisation américains destinés à compenser les lésions liées aux produits de l’amiante (« fonds américains ») les prestations payées ou à payer aux bénéficiaires pour lesquelles elle est subrogée. Dans le cadre de ce recouvrement, la CNESST perçoit, dans certains cas, une indemnité qui excède les prestations payées ou à échoir (« indemnités excédentaires »). Ces indemnités excédentaires appartiennent aux bénéficiaires, comme le prévoit l’article 445 LATMP.

Les demandeurs accusent essentiellement la CNESST de ne pas les avoir informés des sommes excédentaires récupérées et de ne pas leur transmettre des documents relatifs aux recours subrogatoires exercés contre les fonds américains. Des demandes d’information en ce sens sont demeurées lettre morte, forçant même les demandeurs à déposer des demandes d’accès en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[3]. Les bénéficiaires se retrouvent donc parfois dans l’impossibilité de connaître l’étendue de leurs droits à des indemnités excédentaires auprès des fonds américains.

De l’avis des demandeurs, la CNESST serait tenue à une obligation d’information, autant sur le fondement du droit civil[4] qu’en vertu de la Loi sur la justice administrative[5], du Code d’éthique et de déontologie des administrateurs publics de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et du Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics[6].

Les demandeurs reprochent en outre à la CNESST de permettre à ses procureurs de prélever leurs honoraires professionnels en partie à même les sommes excédentaires qui appartiennent aux bénéficiaires.

En plus d’une reddition de compte, les demandeurs réclament les sommes excédentaires prétendument perçues auprès des fonds américains, des dommages-intérêts compensatoires pour stress, anxiété et inconvénients, de même que des dommages punitifs pour une atteinte illicite et intentionnelle à leurs droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne[7] (« Charte ») aux articles 6 et 44.

La décision

La Cour, sous la plume de l’honorable Suzanne Courchesne, autorise l’exercice de l’action collective. La juge procède à l’analyse des conditions d’autorisation de l’article 575 C.p.c. La juge souligne que le recours intenté par les demandeurs repose essentiellement sur un devoir d’information qui incomberait à la CNESST quant à l’existence de recours contre les fonds américains. Sans se prononcer sur la validité de cette thèse, le tribunal en conclut qu’elle n’est pas frivole ni insoutenable. En l’absence d’une preuve complète, le tribunal ne peut statuer sur l’existence, de même que sur l’étendue, de cette possible obligation d’information à ce stade des procédures.

Sur le plan des réparations recherchées, le tribunal conclut à la suffisance des allégations relatives au préjudice matériel prétendument subi par les demandeurs. Cependant, le tribunal retient que les allégations à l’appui des dommages pour préjudice moral sont sommaires, générales et incomplètes. Enfin, la juge rejette également les allégations quant aux dommages punitifs pour des violations à la Charte au motif que lesdites allégations sont succinctes et vagues, et qu’elles n’étayent pas l’existence d’un degré de faute suffisant de la part de la CNESST.

À retenir

La décision commentée permettra de trancher au fond une importante question pour laquelle aucune réponse satisfaisante ne figure tant dans la législation qu’en jurisprudence. A priori, il est vrai que la LATMP ne contient pas de dispositions expresses qui imposeraient une obligation d’information à la charge de la CNESST en faveur des bénéficiaires dans le contexte d’un recours subrogatoire exercé contre le tiers responsable. Le recours subrogatoire appartient de plein droit à la CNESST, et non aux bénéficiaires. Ceci dit, il sera donc particulièrement intéressant de voir si la Cour sera en mesure de s’appuyer sur les différentes dispositions évoquées par les demandeurs afin que les bénéficiaires en pareille situation soient mieux informés du processus de recouvrement entrepris par la CNESST.

En somme, la décision qui tranchera sur le fond de l’action collective déterminera si les bénéficiaires indemnisés par la CNESST se verront reconnaître le droit d’être informés du recours subrogatoire intenté contre le tiers responsable. Advenant que ce droit soit reconnu, son étendue et ses paramètres devront être précisés afin que sa mise en oeuvre protège adéquatement les intérêts des bénéficiaires, en prenant en compte les impératifs organisationnels qui s’imposent à la CNESST.


[1] RLRQ, c. S-2.1.

[2] 2022 QCCS 2961, EYB 2022-463508.

[3] RLRQ, c. A-2.1.

[4] Art. 1375 C.c.Q.

[5] RLRQ, c. J-3.

[6] RLRQ, c. M-30, r. 1.

[7] RLRQ, c. C-12.