Le contexte
Le 26 octobre 2022, la Cour supérieure du Québec, sous la plume de l’honorable Marc Saint-Pierre, a accueilli en partie une demande de diverses associations d’employeurs visant à obtenir l’annulation de certaines dispositions du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires[1] (le « Règlement »).
La Cour a plus particulièrement annulé la définition d’« agence de placement de personnel » au sens du Règlement, laquelle était rédigée dans les termes suivants : « une personne, société, ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main d’œuvre ».
Or, cette définition a été déclarée trop large, en ce qu’elle avait une portée plus grande que l’intention initiale du législateur, soit d’encadrer les activités normalement reconnues des agences spécialisées dans le placement de personnel. Les demanderesses soutenaient effectivement que la définition du Règlement faisait en sorte que les nouvelles normes pouvaient viser des firmes d’ingénieurs-conseils ou des entrepreneurs spécialisés effectuant des opérations majeures d’entretien, voire même qu’elles étaient susceptibles d’englober les agences de sécurité privée, ce qui était incohérent avec la nature de leurs activités.
Ce que la Cour supérieure a décidé
Afin de déterminer si le Règlement conférait un sens trop large à la définition d’« agence de placement de personnel », la Cour a dû déterminer si elle était incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante, la Loi sur les normes du travail[2] (la « LNT »), qui avait été modifiée en 2018 pour ajouter certaines règles applicables à l’industrie des agences de personnel.
La Cour a rappelé qu’il ne suffit pas que le Règlement soit conforme au libellé flou ou général de la disposition habilitante. Il convient plutôt que le Règlement respecte l’intention et l’objet de la loi habilitante.
L’analyse effectuée par la Cour a permis de révéler que l’objectif du gouvernement en ajoutant la disposition habilitante[3] était d’encadrer les agences spécialisées en placement de personnel uniquement, non pas envers toute entreprise susceptible, à l’occasion, de prêter certains de ses employés chez des clients pour l’accomplissement de tâches spécifiques dans le cadre d’un mandat plus large.
Par conséquent, le gouvernement ne pouvait s’appuyer sur le libellé d’une disposition habilitante, même particulièrement large, pour outrepasser l’objectif véritable de la loi. La Cour a alors conclu au caractère ultra vires de la définition d’« agence de placement de personnel » à l’article 1 du Règlement, laquelle devient donc nulle et inapplicable.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision de la Cour rappelle que le simple fait de prêter ou de détacher certains employés chez un client dans le contexte d’un service ou mandat plus large ne constitue pas nécessairement la location de personnel telle qu’effectuée par les agences spécialisées en placement de personnel, soit l’industrie que le législateur souhaitait réglementer.
La définition d’« agence de placement de personnel » du Règlement ayant été déclarée nulle par la Cour, il reviendra au gouvernement de déterminer si une nouvelle définition doit être intégrée au Règlement, tout en respectant les balises imposées par cette décision. Il faudra également suivre les orientations qui seront prises par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), à qui incombe la responsabilité d’appliquer le Règlement.
[1] RLRQ, C. N-1.1, r. 0.1.
[2] RLRQ, c. N-1.1.
[3] Id., art. 92.7.