Le 8 juillet 2019, la Cour d’appel, dans l’affaire Procureur général du Canada c. De l’Étoile[1] (l’affaire De l’Étoile) a infirmé une décision du Tribunal administratif du travail (le TAT) et a ainsi confirmé l’application du privilège relatif au litige devant le TAT.

Qu’est-ce que le privilège relatif au litige?

Le privilège relatif au litige représente une immunité de communication de la preuve dans le cadre d’un litige afin de protéger la divulgation de certains documents dont l’objet principal est la préparation d’un litige. Ce privilège vise à créer une zone protégée afin de faciliter, pour une partie, la préparation du dossier en vue d’un débat contradictoire. Le privilège relatif au litige n’a pas pour cible unique les communications entre un avocat et son client, déjà protégées par le secret professionnel, mais touche également les communications entre un avocat et un tiers.

Il a pour objet principal de favoriser l’efficacité du processus contradictoire en donnant aux parties la possibilité de préparer leurs arguments « en privé », sans ingérence de la partie adverse ni crainte d’une communication prématurée.

Contexte

Dans le cadre de l’affaire De l’Étoile, un employeur avait convoqué une travailleuse qui alléguait une lésion professionnelle à une expertise médicale et, à la suite de l’obtention du rapport médical, avait informé le TAT qu’il n’entendait pas produire ce rapport en preuve. La travailleuse avait demandé l’obtention d’une ordonnance visant la production de ce rapport médical de l’employeur ainsi que son dépôt au dossier. Invoquant le privilège relatif au litige, l’employeur avait refusé de déposer cette expertise.

Rejetant les prétentions de l’employeur, le TAT a statué que le privilège relatif au litige s’appliquait dans le domaine civil et dans le cadre de débats contradictoires, mais non « dans un contexte de droit administratif devant un tribunal de nature quasi judiciaire »[2] comme le TAT. Il a donc ordonné la production du rapport d’expertise de l’employeur. Cette décision fut d’ailleurs confirmée par la suite tant en révision administrative devant le TAT qu’en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.

Conclusions de la Cour d’appel

La Cour d’appel infirme la décision initiale du TAT. Elle souligne qu’il est déraisonnable de conclure que les pouvoirs d’enquête dévolus au TAT lui permettent d’écarter cette immunité de communication de la preuve et précise que sa loi constituante[3] ne contient pas de termes suffisamment « clairs, explicites et non équivoques pour écarter le privilège relatif au litige »[4].

Cela dit, la Cour d’appel retourne le dossier au TAT, uniquement afin qu’il se prononce sur la question de savoir si la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) permet d’écarter le privilège relatif au litige ou crée une exception à ce privilège.

À retenir

En somme, la décision de la Cour d’appel vient fermer la porte à la prétention du TAT selon laquelle ce dernier ne serait pas tenu d’appliquer le privilège relatif au litige dans le cadre de ses décisions. Ce privilège s’applique donc de manière générale à tous les documents d’un employeur dans la mesure où l’objet principal de la confection de ceux-ci a été la préparation d’un litige.

Pour les employeurs québécois, cette décision vient confirmer que les documents préparés en vue d’un litige devant le TAT demeureront confidentiels et protégés par ce privilège. Ainsi, ce dernier ne pourra pas être écarté à moins d’une exception déjà reconnue, et non selon la discrétion du TAT.

En matière de santé et sécurité du travail, reste toutefois à suivre la question de savoir si la LATMP crée une exception au privilège relatif au litige en ce qui concerne l’obtention d’un rapport à la suite de l’examen médical d’un travailleur. Nous vous tiendrons informés de tout développement au niveau de la jurisprudence du TAT, le cas échéant.

 

[1] 2019 QCCA 1178.

[2] Gendarmerie royale du Canada et De L’Étoile, 2017 QCTAT 5322, par. 11.

[3] Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1, art. 9 et 10.

[4] Préc., note 1, par. 29