Bien connue est l’obligation de l’employeur en vertu de la Loi sur les normes du travail (LNT) de prévenir le harcèlement psychologique, d’enquêter lorsqu’un tel comportement est porté à son attention et d’intervenir pour faire cesser la conduite harcelante. Mais que se passe-t-il lorsqu’une plainte est déposée à l’employeur pour harcèlement psychologique entre des représentants syndicaux dans l’exercice de leurs activités syndicales? L’obligation de l’employeur de ne pas s’ingérer dans les activités syndicales est alors confrontée à celle de faire cesser les comportements harcelants, créant une zone grise. L’employeur doit-il intervenir ou bien s’abstenir?

Une récente décision du Tribunal administratif du travail (TAT)[1], rendue à l’occasion d’un litige entre l’Université de Montréal (l’Université) et le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal-SCCCUM (FNEEQ-CSN) (le Syndicat), offre des enseignements utiles aux employeurs aux prises avec de telles questions. Dans cette affaire, le Syndicat a déposé une plainte en vertu de l’article 12 du Code du travail (le Code), prétendant que l’Université se serait ingérée dans ses activités internes en faisant enquête externe sur des allégations de harcèlement psychologique impliquant deux représentantes syndicales et dont les faits  auraient eu lieu exclusivement  dans le cadre de ses activités internes (ex. des réunions du comité exécutif et des communications reliées à ses propres activités).

La nature des fonctions occupées

Le TAT énonce que les obligations de l’Université en matière de harcèlement, tant en vertu de la LNT que de la convention collective, s’appliquent à l’égard de tous ses salariés. Bien que dans le contexte de libération syndicale le lien de subordination soit temporairement mis en sourdine, les représentantes syndicales demeurent des employées de l’Université et, en conséquence, l’Université doit remplir ses obligations légales et conventionnelles visant à prévenir et faire cesser le harcèlement.

La nature des allégations de harcèlement

Le TAT souligne que l’existence ou non de harcèlement affecte les conditions de travail des plaignantes puisque leurs activités de représentantes syndicales sont inextricablement liées à l’emploi de chargées de cours. Le TAT  estime également que le harcèlement s’est produit à l’occasion des activités internes du Syndicat, ce qui doit être distingué des réelles questions de régie interne.

En terminant, le juge administratif ajoute que si les allégations de harcèlement se trouvaient fondées, le Syndicat ne serait alors plus protégé par les dispositions du Code concernant l’immunité des dirigeants syndicaux, puisque le harcèlement psychologique ne constitue pas une activité syndicale légitime.

Ce qu’il faut retenir

Il y a une frontière difficile à définir entre les obligations de l’employeur de faire cesser le harcèlement et l’indépendance syndicale dans la gestion de ses affaires internes. Toutefois, le TAT refuse de définir cette frontière de façon théorique sans l’éclairage d’une situation factuelle spécifique.

Lorsque, comme dans l’affaire sous espèce, le harcèlement se produit à l’occasion des activités internes du Syndicat, et non dans le cadre de sa régie interne, l’employeur n’est pas relevé de ses obligations en matière de harcèlement psychologique en raison du fait que les salariés sont libérés pour exercer leurs fonctions syndicales.

En pareille situation, il a été souligné par le juge administratif que l’appel aux services d’un enquêteur externe peut constituer une bonne façon pour l’employeur de s’assurer de conserver une certaine distance vis-à-vis le Syndicat et d’éviter ainsi toute apparence d’ingérence. Il est important pour l’employeur et l’enquêteur externe de se garder d’adopter des actions qui pourraient relever du domaine de l’entrave aux activités syndicales dans l’exercice de leurs obligations et dans le cadre de l’enquête, en tentant, par exemple, d’obtenir de l’information confidentielle sur la régie interne du Syndicat ou encore de l’information menant à des mesures disciplinaires illégales. La démarche est donc délicate.

[1] Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal-SCCCUM (FNEEQ-CSN) et Université de Montréal, 2019 QCTAT 3721