Dans une décision majoritaire rendue le 3 octobre 2019[1], la Cour d’appel traite de l’admissibilité en preuve d’une vidéo de filature obtenue en dehors du milieu de travail en vertu de l’article 2858 C.c.Q.

La majorité des juges concluent que l’employeur était justifié de procéder à une filature suite aux recommandations de son médecin qui remettait fortement en doute la crédibilité de la salariée.

Faits et décisions des instances inférieures

La salariée occupe un poste de préposée aux bénéficiaires et doit s’absenter pour un problème à l’épaule. À son arrivée au bureau du médecin désigné par l’employeur, ce dernier se trouve dans son véhicule par hasard et l’observe. Après l’avoir examinée, le médecin de l’employeur est d’avis que la salariée simule l’ensemble de ses symptômes et qu’elle est apte à exercer ses fonctions sans restriction et limitation. Il recommande à l’employeur qu’une filature soit entreprise rapidement.

Suite à une journée de filature, l’employeur congédie la salariée aux motifs que cette dernière a fait de fausses et frauduleuses représentations quant à son état de santé et sa capacité à exercer son travail.

L’arbitre doit décider de l’admissibilité des faits constatés lors de la filature. Il analyse principalement les rapports de médecin de l’employeur ainsi que la conduite et la crédibilité de ce dernier. L’arbitre reconnaît que l’employeur avait un motif rationnel de confirmer la situation alléguée par la salariée. Cependant, il exclut de la preuve la vidéo issue de la filature, car il considère que la seule impression du médecin de l’employeur ne constitue pas un motif raisonnable pour lequel l’employeur pouvait s’autoriser de procéder à une filature.

La Cour supérieure infirme la décision arbitrale, jugeant plutôt que l’employeur avait des motifs raisonnables de procéder à la filature et que la vidéo ne violait pas son droit à la vie privée.

Analyse par la Cour d’appel

Dans une décision majoritaire, la Cour d’appel rejette l’appel et confirme la décision de la Cour supérieure.

D’une part, il importe de décider si la preuve a été obtenue « dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux ». D’autre part, la question qu’on se pose est de savoir si « [l’] utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Ces deux critères doivent être satisfaits pour conclure à l’exclusion de l’élément de preuve dont on traite. C’est sur ce deuxième volet que la décision arbitrale est déraisonnable. L’arbitre ne pouvait limiter son analyse au premier volet sans aborder le second volet que prévoit la règle de droit de l’article 2858 C.c.Q.

La motivation de l’employeur de procéder à la filature de la salariée quelques semaines après la confection des rapports de son médecin désigné était tout à fait légitime et la bonne foi de ce dernier n’a pas été remise en question.

Ce qu’il faut retenir

La Cour d’appel clarifie l’état du droit quant à l’analyse de deux volets de l’article 2858 C.c.Q. L’élément de preuve ne doit pas être automatiquement exclu dès que les droits fondamentaux sont enfreints.

À la lumière de cet arrêt, il est possible pour un employeur de procéder à une filature sur la base d’impressions d’un médecin désigné et lorsque celui-ci recommande de procéder à une filature. Bien entendu, il ne doit y avoir aucun piège ni autre forme d’incitation pour pousser la personne visée par la filature à se conduire de manière à contredire ses allégations. La conduite antérieure de cette personne doit être prise en compte.

Enfin, la suffisance des motifs doit s’évaluer au moment de la prise de décision, et non à la lumière de l’ensemble de la preuve et de la crédibilités des sources.

L’auteure souhaite remercier Rachel Lapointe, étudiante, pour sa collaboration à la rédaction de ce billet.

[1] 2019 QCCA 1669.