Dans une décision[1] rendue en juillet dernier, le Tribunal administratif du travail (le TAT) s’est penché sur l’équilibre qui, à l’occasion d’une ronde de négociations pour le renouvellement d’une convention collective, doit exister entre, d’une part, le devoir de non-ingérence de l’employeur et, d’autre part, son droit à la libre expression.

Quels sont les faits dans cette affaire ?

Dans cette affaire, une offre globale et finale avait été présentée par l’employeur, que notre équipe représentait, après quarante-deux (42) séances de négociation. Le syndicat avait alors informé ses membres du dépôt de cette offre, sans toutefois en préciser le contenu. Il avait aussi ajouté qu’il n’avait pas été possible de régler le différend du fait que l’employeur n’avait prétendument pas « progressé dans sa position sur certains enjeux »[2]. Le syndicat avait également précisé qu’il ne convoquerait pas d’assemblée sur ce sujet tant que, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, des mesures de confinement seraient imposées par le gouvernement.

Considérant les propos du syndicat inexacts, voire même trompeurs, l’employeur, souhaitant rectifier le tir, avait transmis une mise au point faisant état du contenu de son offre, et ce, directement aux salariés. Le syndicat y avait alors vu une ingérence dans ses affaires en contravention de l’article 12 du Code du travail (le Code), de même qu’une mesure d’intimidation et de représailles interdite par les articles 13 et 14 du Code.

Quelles conclusions ont été tirées ?

Le TAT réitère d’abord que l’interdiction d’ingérence dans les activités syndicales ne prive pas l’employeur de sa liberté d’expression garantie par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ainsi, ce ne sont pas toutes les communications de l’employeur avec ses salariés qui constitueront de l’ingérence. À ce titre, le TAT rappelle qu’une telle analyse devra tenir compte de facteurs comme le contexte, le contenu des communications et leurs conséquences.

C’est donc en se basant sur ce principe que le TAT conclut que l’employeur ne s’était pas ingéré dans les activités du syndicat et que, bien au contraire, il avait des motifs d’intervenir à ce stade des négociations. En effet, alors que les parties en étaient à une étape avancée des négociations, le syndicat n’avait donné aucune précision aux salariés relativement à l’offre globale et finale présentée par l’employeur. De plus, le syndicat avait imputé à l’employeur l’insuccès des négociations alors que ce dernier avait pourtant toujours fait preuve d’ouverture.

De l’avis du TAT, en l’espèce, la mise au point transmise par l’employeur proposait « un bilan strictement conforme à l’état de la négociation »[3]. L’employeur n’avait en rien cherché à entraver les activités du syndicat. Au contraire, il avait respecté le monopole de représentation syndicale et la cohésion syndicale ne s’en était pas trouvée affectée.

À retenir pour la communauté patronale au Québec

En pratique, cette décision vient confirmer qu’en période de négociations, les communications du syndicat envoyées à ses membres devraient être, pour reprendre les termes du TAT, « empreinte[s] de modération, de rationalité et de vérité »[4], faute de quoi, l’employeur pourrait alors être légitimé de rectifier le tir et de faire parvenir une mise au point directement aux salariés. Dans un tel contexte, une pareille démarche pourrait fort bien ne pas contrevenir au Code.

Mais attention ! Cette mise au point doit toutefois être en tout point conforme à l’état des négociations et être le reflet exact de l’état des discussions. Elle ne peut pas constituer une façon détournée de faire passer des messages. Il faut que l’employeur s’en tienne à la réalité des négociations, ni plus, ni moins.

L’auteure désire remercier Clara Morissette, stagiaire en droit, pour son aide dans la préparation de ce billet de blogue.

Notes en bas de page

[1] Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor Inc. (CSN) c. Domtar Inc., Usine de Windsor, 2020 QCTAT 3043. À noter que le 11 septembre 2020, le syndicat a présenté une demande de révision interne à l’encontre de cette décision du 23 juillet 2020, et ce, suivant l’article 49 (3) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Nous vous tiendrons informés de tous développements à cet égard.

[2] Id., par. 2.

[3] Id., par. 55.

[4] Id., par. 40, citant la décision rendue dans Les avocats et notaires de l’État québécois et Agence du revenu du Québec, 2019 QCTAT 4199 (pourvoi en contrôle judiciaire, C. S. Montréal 500-17-110022-194 le 21 octobre 2019 portant sur une plainte pour manquement de la part de l’Agence du revenu à l’obligation de négocier de bonne foi et avec diligence).

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