Dans la décision Syndicat des métallos, section locale 2008 et al. c. Procureur général du Canada et al.[1], la Cour supérieure s’est prononcée sur la constitutionnalité de certains arrêtés du ministre des Transports du Canada ordonnant notamment la vaccination obligatoire des employés du secteur du transport maritime, ferroviaire et aérien sous juridiction fédérale. Il s’agit de la première décision rendue au Québec qui statue, au fond, sur la constitutionnalité d’un acte législatif imposant la vaccination obligatoire contre la COVID-19.

Ce jugement, rendu le 5 juillet 2022, conclut que bien que les dispositions contestées de ces arrêtés touchant la vaccination obligatoire portent atteinte au droit à la liberté et à la sécurité des employés concernés, elles ne violent pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne[2] (la Charte), puisqu’elles ont été adoptées en conformité avec les principes de justice fondamentale. Au surplus, la Cour supérieure conclut que même s’il y avait violation de l’article 7, cette atteinte aurait été justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Soulignons d’ailleurs que, malgré le fait que le ministre des Transports du Canada a abrogé toute forme d’obligation vaccinale le 20 juin dernier, la Cour supérieure, exerçant son pouvoir discrétionnaire, a tout de même décidé de se prononcer sur la constitutionnalité des arrêtés contestés, considérant notamment l’existence d’autres litiges connexes impliquant les parties dans le contexte de relations du travail.

Contexte

Dans le cadre de la pandémie de la COVID-19, alors que débutait la quatrième vague d’infection, le ministre des Transports du Canada a adopté des arrêtés imposant la vaccination contre la COVID-19 aux entreprises sous juridiction fédérale dans le secteur des transports et obligeant ainsi les employeurs visés à adopter des politiques de vaccination obligatoire applicables à leurs salariés. Les arrêtés prévoyaient deux exceptions à la vaccination obligatoire, soit la contre-indication médicale et la croyance religieuse sincère.

Des suspensions sans solde et des congédiements ont donc été imposés aux salariés non vaccinés suivant l’adoption de ces politiques, tandis que d’autres salariés se résignèrent éventuellement à être vaccinés, craignant de perdre leur emploi. Plusieurs griefs furent déposés en raison de ces mesures.

Dans ce contexte, dix sections locales du Syndicat des Métallos et six personnes physiques ont attaqué la constitutionnalité de ces arrêtés au motif qu’ils violaient l’article 7 de la Charte en portant atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Les demandeurs réclamaient l’ajout d’une exception à l’obligation vaccinale au nom de la liberté de choix et du « droit de prendre des décisions d’une importance fondamentale pour sa personne, sans intervention de l’État »[3].

Décision

La Cour supérieure conclut que les arrêtés du ministre des Transports ne violent pas l’article 7 de la Charte et qu’ils sont donc constitutionnels.

Dans un premier temps, la Cour indique qu’en l’espèce, la liberté et la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique, deux droits protégés par cet article, sont bel et bien touchés. En effet, même si les salariés conservaient le choix de se faire vacciner ou non, leur refus entraînait des conséquences importantes sur leur emploi.

Toutefois, pour qu’une telle atteinte constitue une violation de l’article 7 de la Charte, elle doit être faite d’une façon non conforme aux principes de justice fondamentale. Or, malgré l’atteinte aux droits des employés, la Cour est d’avis que les arrêtés respectent les principes de justice fondamentale. En effet, l’obligation vaccinale visait la sécurité des transports fédéraux et la prévention des formes graves de la maladie, afin d’éviter un taux d’absentéisme élevé et la perturbation du bon fonctionnement du système des transports et des chaînes d’approvisionnement. Eu égard à cet objectif, la mesure n’est pas arbitraire, n’a pas une portée excessive et n’est pas totalement disproportionnée. Au contraire, cette politique, bien que sévère, est rationnelle et concerne un but important. Elle respecte donc les principes de justice fondamentale. Ainsi, considérant que les dispositions des arrêtés ministériels ne violent pas l’article 7 de la Charte, le juge a rejeté le pourvoi des demandeurs.

Cependant, la Cour supérieure pousse la réflexion plus loin. En effet, elle statut que même si les arrêtés ministériels avaient transgressé la Charte, son article premier aurait autorisé une telle violation. Cet article permet de restreindre les droits et libertés des personnes de manière raisonnable et justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique. En application de l’article premier, la Cour établit que la mesure vise un but urgent et réel et qu’il y a un lien rationnel entre cet objectif et les règles adoptées, l’efficacité de la vaccination étant prouvée. De plus, le tribunal est d’avis que la vaccination obligatoire dans les transports fédéraux est la mesure la moins attentatoire pour atteindre la finalité recherchée par les arrêtés. Finalement, les effets bénéfiques des politiques de vaccination excèdent ses effets délétères lorsqu’on considère les risques qui auraient été encourus en l’absence d’une telle politique.

En conséquence, les dispositions des arrêtés ministériels auraient été jugées constitutionnelles même si elles avaient contrevenu à l’article 7 de la Charte. Le pourvoi aurait tout de même échoué.

Conséquences pour les employeurs

Comme souligné dans le jugement, les politiques de vaccination obligatoire ont entraîné le dépôt de nombreux griefs et plaintes par des salariés d’entreprises dans le secteur des transports sous juridiction fédérale. Or, les arrêtés ministériels ayant mené à ces politiques étant constitutionnels, il sera intéressant de voir comment les arbitres de grief et les tribunaux administratifs arboreront les litiges liés aux conséquences du non-respect de ces politiques. Nous pouvons nous attendre qu’il ne pourra être reproché aux entreprises visées par les arrêtés d’avoir exigé la vaccination de leurs employés de manière conforme avec les arrêtés. Le gouvernement exigeait la mise en place de ces mesures. Ainsi, cette décision de la Cour supérieure crée un précédent important appuyant la position des employeurs ayant adopté des sanctions dans le respect des dispositions édictées par le ministre des Transports.

En outre, le jugement précise ce qui constitue une objection de conscience permettant d’être exempté de l’obligation vaccinale. Selon la Cour, la position des demandeurs « ne peut être assimilée à une sorte d’objection de conscience »[4]. Ainsi, dans le cadre de procédures entamées par des salariés contre leur employeur, cela permettra de circonscrire ce qui se qualifie de « croyance sincère » pour les fins des arrêtés ministériels. Le droit au libre choix n’entrant pas dans cette catégorie, il ne pourra pas justifier l’application de cette exception.

Veuillez noter qu’au moment de la publication de la présente le délai pour interjeter un appel de la décision commentée est expiré et qu’aucun recours n’a été déposé par les parties.

L’auteur souhaite remercier Marie-Dominique Simard, étudiante en droit, pour sa généreuse contribution à la rédaction de cette publication.

[1] Syndicat des métallos, section locale 2008 et al. c. Procureur général du Canada et al., 2022 QCCS 2455

[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12.

[3] Syndicat des métallos, section locale 2008 et al. c. Procureur général du Canada et al., par. 48.

[4] Syndicat des métallos, section locale 2008 et al. c. Procureur général du Canada et al., par 175.