Le 4 juillet 2019, la Cour d’appel, dans l’affaire Association professionnelle des ingénieurs du Gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec[1], a confirmé le caractère raisonnable de la décision de la Commission des relations du travail (la CRT), maintenant devenue le Tribunal administratif du travail, et a ainsi reconnu que, dans certains cas, les courriels professionnels d’un salarié peuvent être utilisés afin de diffuser un message de nature syndicale dans le cadre de négociations.

Contexte

Dans cette affaire, dans le cadre des négociations de renouvellement de la convention collective, se prévalant de leur droit à la liberté d’expression, plusieurs salariés avaient inclus un message de nature syndicale dans la signature de leurs courriels professionnels, et ce, à la suggestion de l’association les représentant. Or, l’employeur, invoquant notamment son droit de propriété de ses outils informatiques, avait demandé aux salariés de retirer ce message, à défaut de quoi des mesures plus sévères pourraient être imposées.

Dans ce contexte, l’association avait déposé une plainte à la CRT, prétendant que l’interdiction imposée par l’employeur constituait une ingérence dans ses activités syndicales.

Conclusions de la Cour d’appel

La Cour d’appel confirme le caractère raisonnable de la décision de la CRT, laquelle avait notamment ordonné à l’employeur de permettre à ses salariés d’inclure le message syndical visé dans la signature de leurs courriels professionnels.

À ce titre, la CRT avait essentiellement conclu que ce faisant, les salariés n’avaient fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression en matière de relations du travail et que, dans le contexte de l’affaire, l’employeur avait porté atteinte à ce droit garanti par les chartes des droits et libertés sans justifications raisonnables. De fait, la CRT était entre autres d’avis que le message contenait des « informations exactes » et était rédigé « en termes tout à fait corrects »[2]. Le droit à la liberté d’expression avait été exercé « raisonnablement, sans causer de préjudice, et de manière ni offensante ni disgracieuse »[3]. En l’absence de preuve d’un quelconque effet nuisible, le droit de propriété de l’employeur ne pouvait donc justifier, à lui seul, de restreindre l’exercice du droit à la liberté d’expression des salariés.

Toutefois, la Cour d’appel tempère la portée de la décision de la CRT en prenant bien soin de préciser que cette décision n’établit pas un principe voulant qu’en toutes circonstances, les courriels professionnels d’un salarié peuvent être utilisés afin de diffuser un message de nature syndicale dans le cadre d’un conflit de travail. Chaque cas demeure plutôt un cas d’espèce.

À retenir

En somme, la décision de la Cour d’appel vient ouvrir la porte à l’utilisation, par les salariés, de leurs courriels professionnels afin de diffuser un message de nature syndicale dans le cadre de négociations.

Certes, pour les employeurs québécois, cette décision constitue un premier précédent notable en la matière qu’il importe de considérer. Néanmoins, et comme le précise d’ailleurs la Cour d’appel, chaque cas demeure un cas d’espèce. Les faits propres à chaque situation devront ainsi être rigoureusement analysés afin de déterminer si le droit à la liberté d’expression des salariés peut prévaloir, dans un contexte donné, sur le droit de propriété des biens de l’employeur.

*Les auteurs désirent remercier Cédrick Bérard, stagiaire en droit, pour son aide dans la préparation de ce billet.

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[1] 2019 QCCA 1171.

[2] Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec et Gouvernement du Québec (Direction des relations professionnelles, Conseil du Trésor), 2015 QCCRT 0460, par. 66.

[3] Id., préc., note 1, par. 17.