Dans une décision récente[1], le Tribunal administratif du travail (le TAT), a accueilli la plainte d’un salarié (le Plaignant) pour congédiement sans cause juste et suffisante, confirmant que son congédiement était injustifié. Cette affaire met en lumière l’importance pour un employeur de démontrer un lien objectif entre une condamnation criminelle et les fonctions d’un employé pour justifier une sanction disciplinaire.
Les faits
Le Plaignant est conseiller en vente depuis 2016 chez l’Employeur, un concessionnaire automobile situé dans la région de Thetford Mines au Québec (l’Employeur).
En septembre 2022, lors de son enterrement de vie de garçon, le Plaignant, son cousin et un collègue sortent dans des bars près de leur hôtel, attirant l’attention par leurs tenues extravagantes. Interpellé dans la rue pour des photos avec des inconnus, le Plaignant commet alors des attouchements sexuels non consensuels sur deux jeunes femmes de 18 et 19 ans. Une altercation violente éclate ensuite, sans qu’il y soit impliqué. Arrêté le 14 septembre 2022 pour agression sexuelle, il est libéré quelques jours plus tard.
En raison de l’importante couverture médiatique entourant l’événement, l’Employeur suspend le Plaignant sans solde jusqu’à ce que la situation se calme. Bien que l’attention médiatique et les publications sur les réseaux sociaux diminuent vers la fin septembre 2022, la suspension se prolonge jusqu’au 30 janvier 2023. À cette date, le Plaignant est réintégré à son poste de conseiller en vente, qu’il occupe jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable le 11 janvier 2024. L’Employeur procédera alors à son congédiement.
L’Employeur soutient que le Plaignant met à risque les clientes de l’entreprise avec qui il interagit régulièrement et que, compte tenu de la médiatisation de l’affaire, sa présence nuit à la réputation et à la crédibilité de l’entreprise, surtout dans une ville de 20 000 habitants.
La décision du Tribunal administratif du travail
Selon la Cour suprême, lorsqu’une infraction n’est pas objectivement liée à l’emploi, tout stigmate qui en découle est injustifié et constitue une discrimination, quelle que soit la gravité du crime commis. En revanche, si un lien existe entre l’infraction et l’emploi, l’employeur peut imposer une mesure à un employé non gracié, à condition de faire la preuve de ce lien qui constitue son seul motif valable.
En l’espèce, le TAT juge qu’il est impossible d’établir un lien tangible, concret et réel entre les condamnations du Plaignant et sa capacité à exercer ses fonctions de conseiller aux ventes chez l’Employeur. La nature, la gravité et les circonstances des infractions n’ont aucun lien avec son emploi. Les faits à l’origine des condamnations étant survenus à la sortie de bars, à l’occasion de l’enterrement de vie de garçon du Plaignant, sans aucun lien avec ses fonctions de conseiller vendeur.
L’Employeur n’a pas démontré d’impact objectif des condamnations criminelles sur le poste du Plaignant. Même avec la médiatisation de l’affaire, aucune preuve ne soutient une atteinte réelle à l’image ou à la réputation de l’entreprise. En l’absence de preuve, le TAT ne peut établir de lien entre les infractions et l’emploi. Le congédiement ne saurait donc être justifié.
Que retenir
Le TAT rappelle qu’un employeur peut sanctionner un salarié pour des infractions criminelles uniquement si celles-ci ont un lien objectif et direct avec son emploi. Bien que les faits reprochés au salarié soient graves, s’ils sont survenus en dehors du cadre professionnel et n’affectent pas sa capacité à exercer ses fonctions, l’employeur pourra difficilement justifier son congédiement.
[1] Roussin Bizier c. Cliche Auto Ford Thetford inc., 2025 QCTAT 399