Dans la décision Trivium Avocats inc. c. Rochon[1], rendue récemment, la Cour supérieure a accueilli la demande d’ordonnance de protection formulée par un employeur visant à protéger l’une de ses employées victime, sur son lieu de travail, de violence psychologique s’inscrivant dans un contexte familial.

Par cette décision, la Cour supérieure a confirmé que l’obligation de l’employeur d’intervenir auprès d’un travailleur exposé, sur son lieu de travail, à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel, peut prendre la forme du dépôt d’une demande d’ordonnance de protection au profit de cet employé.

À notre connaissance, il s’agit de la première décision rendue depuis l’entrée en vigueur du paragraphe 16 de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (LSST), le 6 octobre 2021.

Contexte  

Dans cette affaire, une employée d’un cabinet d’avocats, faisait l’objet, à même son lieu de travail, de comportements agressifs, harcelants et violents de la part de son fils. Ce dernier l’appelait plusieurs fois par jour pour la menacer, l’intimider et lui exiger de l’argent. Cette situation durait déjà depuis quelques années, et ce, malgré l’aide apportée par l’employeur.

En novembre 2022, la situation a pris une tournure encore plus inquiétante lorsque le fils de l’employée s’est présenté en personne, au lieu de travail de cette dernière, en proférant des propos suggérant que la sécurité de sa mère était menacée. Devant l’ampleur de la situation, l’employeur a déposé, dès le lendemain, une demande d’ordonnance de protection visant à empêcher le fils de cette employée de se rendre sur les lieux du travail de sa mère et d’y communiquer avec elle ou tout autre employé.

Décision

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 51 de LSST, l’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique de ses travailleurs. Plus précisément, le paragraphe 16 de cet article prévoit que l’employeur doit « prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection du travailleur exposé, sur les lieux de travail, à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel. »

La Cour supérieure a statué que, dans les circonstances, ce paragraphe conférait à l’employeur à la fois l’obligation d’intervenir pour protéger son employée victime de violence au travail et l’intérêt pour agir nécessaire pour formuler une demande d’ordonnance de protection.

Une ordonnance de protection est une forme d’injonction qui a pour effet d’enjoindre à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée[3]. La durée maximale d’une telle ordonnance est de 3 ans[4]. Le non-respect de cette ordonnance par la personne visée peut entraîner une condamnation pour outrage au tribunal[5].

Dans son analyse, la Cour a réitéré qu’une ordonnance de protection ne doit pas être accordée à la légère, et que l’employeur doit avoir des motifs raisonnables qui en justifient l’émission. À la lumière de la preuve qui a été faite, elle fut d’avis que la situation de violence familiale vécue par l’employée justifiait l’émission d’une telle ordonnance. La Cour a, en conséquence, prononcé une ordonnance de protection d’une durée de trois ans, soit la durée maximale qu’une telle ordonnance peut avoir. 

À retenir

Cette décision confirme que, lorsqu’un employeur a des motifs raisonnables pour justifier l’émission d’une ordonnance de protection, il a, en vertu du paragraphe 16 de l’article 51 LSST, l’intérêt juridique pour formuler une telle demande.

Si nous ne pensons pas que cette décision aura pour effet de prescrire le standard à adopter par un employeur dans tous les cas où un de ses employés serait victime de violence sur le lieu du travail, cette décision offre toute de même un éclairage sur les formes que peuvent prendre les mesures visant à assurer la protection des employés dans ce contexte. Chaque situation devra être analysée par l’employeur au cas par cas, le tout dans le respect de ses obligations légales en matière de santé et de sécurité et du droit à la vie privée de l’employé.

L’autrice désire remercier Noémie Célestin-Plante, étudiante en droit, pour son aide dans la préparation de cet article.


[1] 2022 QCCS 4628

[2] RLRQ, c. S-2.1.

[3] Art. 509 al. 2 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 (C.p.c).

[4] Id.

[5] Art. 58 C.p.c