Introduction

Dans une décision récente[1], un tribunal d’arbitrage (le Tribunal) annule le congédiement d’une camionneuse (l’Employée) ayant conduit en état d’ébriété puisque l’employeur, une entreprise de transport québécoise, a manqué à son obligation d’accommodement. 

Contexte

Dans cette affaire, l’Employée conductrice de camion lourd, qui était au service de l’employeur depuis 24 ans s’est arrêtée à deux reprises lors d’un voyage de livraison à destination des États‑Unis pour consommer entre 9 à 12 bières. Elle a ensuite repris le volant, puis perdu le contrôle de son camion pour terminer son parcours en lisière de l’autoroute. La sortie de route n’a causé aucun blessé, mais le camion a été endommagé. L’Employée a été arrêtée par les autorités de la Pennsylvanie alors que son taux d’alcoolémie était de 0.18, soit plus du double de la limite légale. Ultimement, l’employeur a procédé au congédiement de l’Employée, tel que le prévoyait la convention collective pour une telle faute.

Le syndicat conteste cette décision au motif que la faute de l’Employée a été commise alors qu’elle souffrait d’un problème de dépendance à l’alcool donnant ainsi naissance à l’obligation d’accommodement de l’employeur.  

L’employeur, quant à lui, affirme qu’il n’avait pas connaissance du handicap de l’Employée au moment du congédiement et qu’à tout événement, la déficience de l’Employée, soit la dépendance à l’alcool, n’a pas été prouvée.

La décision du Tribunal

D’emblée, le Tribunal note que la consommation d’alcool au volant d’un camion lourd est une faute très grave qui aurait pu avoir des conséquences dévastatrices tant sur la conductrice que sur les autres usagers de la route. 

À la lumière de la preuve, le Tribunal retient que l’Employée souffre d’une dépendance à l’alcool, répondant ainsi à la notion d’handicap en vertu des lois sur les droits de la personne, et ce, malgré qu’aucune expertise n’ait été administrée à l’audience. Se penchant ensuite sur l’obligation d’accommodement de l’employeur, le Tribunal rappelle que celle-ci naît uniquement lorsqu’un employeur a connaissance du handicap de son employé. Ladite connaissance de l’employeur du handicap peut être acquise de différentes façons, sans nécessairement avoir recours à la preuve médicale.

Or, selon l’appréciation des faits du Tribunal, le congédiement de l’Employée survient environ deux mois après son accident. Pendant ce délai, l’employeur avait été mis au fait de la source de l’accident, de la reconnaissance par l’Employée d’un problème de consommation, de la réussite de sa cure de désintoxication et de la remise d’un certificat médical attestant de son trouble relié à l’usage de substances, soit l’alcool. Le Tribunal souligne d’ailleurs que l’employeur n’a jamais avisé l’Employée qu’il jugeait que le certificat médical qu’elle lui avait remis n’était pas suffisant pour établir qu’elle souffrait d’alcoolisme.

Ainsi, le Tribunal accueille le grief et ordonne la réintégration de l’Employée. La sanction prédéterminée à la convention collective ne permet pas de se soustraire à l’application de la législation sur les droits de la personne. Puisque l’employeur avait connaissance du handicap de l’Employée au moment du congédiement, il se devait de considérer le dossier sous l’angle administratif, comme une maladie, plutôt que comme une mesure disciplinaire, et de débuter une démarche sérieuse en vue de déterminer s’il pouvait raisonnablement accommoder l’Employée sans en subir une contrainte excessive.

Cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

À retenir

Cette décision rappelle aux employeurs québécois qu’ils ne peuvent se limiter à appliquer les sanctions prédéterminées à la convention collective, puisque toute disposition conventionnelle demeure soumise aux lois sur les droits de la personne. Les dossiers impliquant des questions de dépendance à l’alcool et aux drogues sont délicats et l’évaluation de chaque cas d’espèce est de mise. En présence d’un certificat médical qu’ils jugent insuffisant, les employeurs devraient s’assurer de demander des précisions, surtout s’il doit en résulter des mesures d’accommodement.

Avant de procéder au congédiement d’un employé fautif, il est important pour l’employeur de considérer son obligation d’accommodement lorsqu’il est informé, directement ou indirectement par certains indices, que l’employé en question souffre d’une dépendance. Cela ne veut pas pour autant dire qu’un employeur devra toujours garder à son emploi un tel employé. En effet, si l’employeur est en mesure de démontrer que les mesures d’accommodement constituent une contrainte excessive, le congédiement pourra alors être justifié.  

Finalement, l’adoption d’une politique de tolérance zéro en matière de consommation d’alcool ou de drogues en milieu de travail demeure un aspect à ne pas négliger pour les employeurs. De fait, une telle politique envoie un message clair aux employés et elle peut énoncer qu’un employé doit divulguer sa dépendance avant que ne survienne un accident afin de pouvoir bénéficier de mesures d’accommodement. À titre d’exemple, dans Stewart c. Elk Valley Coal Corp[2], la Cour suprême du Canada n’a pas retenu la prétention selon laquelle le déni du salarié, caractéristique fréquente en matière de toxicomanie ou d’alcoolisme, l’empêchait d’informer son employeur de sa dépendance avant la survenance d’un accident puisque les faits de cette affaire démontraient que le salarié avait la capacité de respecter cette exigence de l’employeur. Le congédiement du salarié qui avait divulgué sa dépendance après la survenance d’un accident a été confirmé. Même s’il n’est pas acquis qu’une conclusion similaire aurait pu être tirée par l’arbitre dans le dossier sous étude en présence d’une politique similaire, celle-ci constitue tout de même un outil supplémentaire pour les employeurs dans leur gestion des enjeux de santé et de sécurité.


[1] Teamsters Québec, local 106 et 1641-9749 Québec inc., 2023 QCTA 304

[2] Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30.