Le 8 février dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision d’importance en matière de syndicalisation : l’affaire Association des cadres de la société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec[1].
Résumé de la décision
Selon la Cour d’appel, le Code du travail contient une définition trop restrictive de la notion de « salarié » en excluant tous les niveaux de cadres. Cette définition viole donc la liberté d’association et cette violation n’est pas justifiée par les dispositions justificatives des chartes.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision du Tribunal administratif du travail (TAT) selon laquelle l’exclusion des cadres du régime général des relations de travail du Code de travail prive ceux-ci d’un véritable droit à la négociation collective.
Selon la Cour d’appel, cette exclusion a pour effet de priver les demandeurs, en l’occurrence les superviseurs des opérations (SDO) de casinos (c’est-à-dire, les chefs de tables), de l’accès à un véritable processus de négociation collective de leurs conditions de travail. Ils sont également privés de la possibilité de faire la grève. De plus, ils n’ont pas accès à un tribunal spécialisé en cas d’ingérence de la part de l’employeur ou de violation de son obligation de négocier de bonne foi.
De manière générale, il est à noter que plusieurs indices dans la décision permettent de conclure que ce ne sont pas tous les niveaux de cadres qui doivent se voir reconnaître l’accès à un régime de négociation collective
En ce sens, à la lecture de la décision, l’exclusion de certains niveaux de cadres devrait pouvoir se justifier en vertu du droit québécois.
Plus spécifiquement, il semble que les cadres impliqués dans les fonctions suivantes pourraient encore être exclus de la définition de salarié :
- les cadres de niveaux supérieurs;
- les cadres qui jouent un rôle stratégique dans les relations du travail;
- les cadres qui participent à la négociation des conventions collectives.
Toujours dans le même ordre d’idées, il faut souligner que les SDO se situaient tout au bas de l’échelle en terme de poste de supervision. Il est important de le préciser afin de bien comprendre le contexte dans lequel la décision a été rendue. La Cour d’appel et le TAT, en première instance, ne fournissent que peu de détails sur les fonctions des SDO. Notons toutefois les faits qui suivent, lesquels font ressortir le niveau hiérarchique réel des SDO :
- Ils occupent des postes de cadre de premier niveau parmi cinq paliers de cadres.
- Ils doivent s’assurer du bon déroulement des activités, notamment du respect des règles du jeu et du service à la clientèle reliés à leur équipe (entre deux et cinq croupiers).
Les conséquences à court terme
La Cour d’appel a suspendu pour une période de 12 mois la déclaration d’inopérabilité de l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » du Code du travail. Ainsi, la Cour donne l’opportunité au législateur, s’il le désire, d’adopter un régime visant les employés occupant un poste de cadre.
Par ailleurs, il est possible que la Société des casinos demande la permission à la Cour suprême d’en appeler de ce jugement. Le Procureur général du Québec est également mis en cause dans le dossier en raison de la question constitutionnelle qui est en litige. Ainsi, le débat n’est possiblement pas terminé et demeure à suivre.
Il est à prévoir que la décision de la Cour d’appel, qui déclare le droit à la syndicalisation de certains cadres, ait une incidence sur les employeurs québécois, à court ou moyen terme. Ceux-ci devraient tenir compte des impacts potentiels de cette décision sur leurs employés et opérations.
Ceci dit, il importe de rappeler que la décision de la Cour d’appel ne vaut que pour la Société des casinos du Québec. Ainsi, soulignons qu’il appartiendra aux cadres souhaitant se syndiquer de démontrer au TAT que leur exclusion du régime général des relations de travail du Code du travail violerait leur liberté d’association en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, en fonction de leur situation spécifique, tout comme l’ont fait les SDO.
N’hésitez surtout pas à communiquer avec nous pour discuter de cette décision et de ses impacts potentiels sur la gestion de votre entreprise.
[1] 2022 QCCA 180