Une récente décision (la Décision) rendue par l’arbitre Me François Hamelin (l’Arbitre)[1] confirme qu’au Québec, la dénonciation d’une pratique passée (utilisée comme moyen d’interprétation d’une disposition ambiguë d’une convention collective) n’a aucun effet en l’absence d’une modification, par négociation, du texte en cause. À notre connaissance, il s’agit de la première décision qui le confirme de manière aussi claire et sans équivoque.

Dans cette affaire, l’Arbitre a rejeté le grief et fait droit aux prétentions de l’employeur, lequel était représenté par notre équipe. Nous en traitons brièvement ci-dessous.

Mise en contexte

La notion de « pratique passée » est généralement utilisée en arbitrage de grief afin d’interpréter des textes ambigus d’une convention collective. Afin de dénouer l’ambiguïté, les clauses visées sont alors interprétées par l’arbitre conformément à la pratique ayant cours chez l’employeur[2]. La pratique constitue ainsi un outil d’interprétation.

La notion d’« estoppel » vise plutôt à éviter une situation d’iniquité entre les parties. Contrairement à la pratique passée, l’utilité de cette théorie n’est pas d’interpréter une clause ambiguë, mais généralement d’empêcher une partie de mettre fin à une pratique qui contredit une clause claire de la convention collective. L’estoppel est alors utilisé pour empêcher la partie qui a toujours renoncé à l’application de telle disposition de maintenant faire volte-face et d’insister pour que cette disposition soit désormais appliquée telle que rédigée.

Cela étant, comment une partie à la convention collective pourrait-elle modifier ou mettre fin à une pratique passée ou à un estoppel, selon le cas?

La Décision à l’étude répond clairement à cette question. En bref, dans le cas d’un estoppel, une partie doit le dénoncer, alors que dans le cas d’une pratique passée, la partie doit plutôt renégocier le texte en cause.

Les faits ayant donné lieu à la Décision

Le grief concernait le calcul de la paie de vacances prévu à la convention collective intervenue entre les parties. La disposition en question était en vigueur et demeurée inchangée depuis plus de 60 ans. L’employeur l’avait toujours appliquée d’une certaine façon, et ce, à la connaissance du syndicat.

Au fil du temps, de la jurisprudence rendue entre les parties sur cette même disposition avait jugé cette dernière ambiguë et, pour en clarifier le sens, l’avait interprétée conformément à la méthode de calcul appliquée par l’employeur. Cette méthode de calcul constituait donc une pratique passée établie entre les parties, ce que le syndicat ne contestait pas, en soi.  

Or, devant l’Arbitre, le syndicat demandait que la méthode de calcul appliquée par l’employeur soit modifiée. Le syndicat prétendait que la pratique passée à cet égard était maintenant devenue « caduque » puisque, dans le cadre des négociations ayant mené au renouvellement de la convention collective, il l’avait officiellement dénoncée.

Ce que l’Arbitre a tranché

Rejetant le grief, l’Arbitre conclut que si le syndicat souhaite modifier la méthode de calcul appliquée par l’employeur, il devra plutôt renégocier les termes de la disposition en cause.

Au soutien de cette conclusion, l’Arbitre énonce que, comme il est en présence d’une clause dont le sens est ambigu, la dénonciation du syndicat n’est « pas pertinente ». Afin de clarifier le sens du texte visé, l’Arbitre indique devoir plutôt être guidé par la pratique passée ayant cours entre les parties. Son raisonnement s’inscrit notamment dans un souci de stabilité du droit : s’il en était autrement, l’interprétation d’une même clause ambiguë pourrait donner lieu à des décisions contradictoires. 

L’Arbitre précise par ailleurs que la procédure de dénonciation s’applique uniquement dans les cas d’estoppel.

Ce qu’il faut retenir

Cette Décision confirme de manière claire et sans équivoque que la dénonciation d’une pratique passée n’a aucun effet en l’absence d’une modification, à la table de négociations, du texte de la convention collective en cause.

Pour faire cesser un estoppel, une partie doit le dénoncer. Cette dénonciation préalable vise à donner à l’autre partie l’occasion de renégocier, si elle le souhaite, la disposition en cause lors du renouvellement de la convention collective. Cela étant, même si le texte n’est pas renégocié, la dénonciation pourrait, en soi, avoir comme conséquence de mettre fin, pour les conventions collectives subséquentes, à une pratique qui contredit une clause claire de la convention collective, de sorte que cette clause soit dorénavant appliquée telle que rédigée.

Par contre, pour modifier ou faire cesser une pratique passée, la procédure de dénonciation n’est pas pertinente. La partie qui désire qu’une autre interprétation soit adoptée doit donc nécessairement négocier (avec succès) une modification du texte en question. À défaut, la pratique établie entre les parties continuerait de guider un décideur appelé à clarifier le sens de la disposition en cause.

Les employeurs québécois devraient ainsi tenir compte de ces distinctions tant, d’une part, lorsqu’il s’agit de modifier ou de mettre fin à des façons de faire au sein de leur entreprise qui peuvent se qualifier, selon le cas, de pratique passée ou d’estoppel, que, d’autre part, lorsqu’il s’agit de s’opposer aux changements demandés en ces matières.


[1] ArcelorMittal Produits longs Canada senc (Complexe de Contrecoeur-Ouest) et Syndicat des Métallos, section locale 6951, Tribunal d’arbitrage, Me François Hamelin, 25 novembre 2022, non répertoriée au moment de la publication du présent billet de blogue.

[2] Dans la mesure, toutefois, où telle pratique rencontre certains critères, notamment être bien établie, sur une période de temps significative.