Le 12 janvier dernier, l’arbitre Dominic Garneau a rendu la décision Syndicat des métallos, section locale 9996 et Minerai de fer Québec inc. (grief syndical)[1], dans laquelle il précise les droits et obligations d’un employeur à l’égard des frais de déplacement déboursés par ses salariés lorsque ces derniers ne peuvent se prévaloir du service de navette aérien mis à leur disposition en raison de leur statut vaccinal.

Contexte

L’employeur possède et exploite un complexe minier situé près de Fermont. Une grande majorité de ses salariés ne résident pas dans cette région et travaillent sur la base d’un horaire de quatorze jours, suivis de quatorze jours de congé.

La convention collective et la politique de transport prévoient l’obligation pour l’employeur de mettre en place les moyens nécessaires afin de répondre aux besoins des salariés en matière de transport, et ce, « au meilleur du possible ». S’étant réservé le choix des moyens par lesquels il assume sa responsabilité, l’employeur a opté pour la mise en place d’un système de navette aérien (fly-in/fly-out).

En octobre 2021, dans le contexte de la quatrième vague de COVID-19, le gouvernement du Canada annonce l’obligation pour les passagers aériens de présenter une preuve vaccinale. Suite à cette nouvelle exigence gouvernementale, l’employeur informe les employés qu’ils devront dorénavant s’y conformer pour bénéficier du système de navette aérien. L’employeur permet toutefois aux travailleurs qui ne sont pas en mesure de présenter une preuve vaccinale de se rendre au lieu de travail par leurs propres moyens, et ce, sans compensation.

Par ses griefs, le syndicat prétend que l’employeur a modifié unilatéralement sa politique de transport de façon abusive, déraisonnable et discriminatoire en omettant d’indemniser les salariés ne pouvant plus bénéficier du transport aérien en raison de leur statut vaccinal. L’employeur soutient que l’exigence d’une preuve vaccinale dans les transports aériens est hors de son contrôle, qu’il a respecté les obligations découlant de la convention collective et que rien ne l’oblige à assumer les conséquences financières subies par les salariés ayant choisi de ne pas se faire vacciner.

Décision

En ce qui concerne les allégations de discrimination, l’arbitre rappelle que bien que l’employeur ne soit pas responsable des nouvelles exigences imposées par le gouvernement fédéral, il doit néanmoins « contribuer aux solutions permettant d’accommoder des salariés ne pouvant être vaccinés en raison d’un des motifs de discrimination prévus à la Charte[2] »[3], soit la religion ou le handicap, à titre d’exemple. Toutefois, en l’espèce, le syndicat n’a pas démontré qu’il existe un lien entre le statut vaccinal et l’un de ces motifs de discrimination prévus à la Charte. Ce faisant, la décision de l’employeur n’était pas discriminatoire.

En vertu de la convention collective et de la politique de transport, l’employeur a la responsabilité d’assurer le transport des employés jusqu’au complexe minier. Cependant, le choix du moyen de transport relève de ses droits de gestion. Dans les faits, l’employeur a choisi de privilégier le transport aérien lequel était assujetti à l’exigence du gouvernement de présenter une preuve vaccinale. Dans le cadre de sa politique, l’employeur n’avait pas l’obligation d’organiser un transport alternatif pour les employés non vaccinés, ni de leur octroyer des indemnités de déplacement lorsqu’ils faisaient le choix de se rendre au travail par leurs propres moyens. Cette décision de l’employeur ne contrevenait pas à la convention collective et elle s’appuyait sur un exercice raisonnable et non abusif de ses droits de gestion.

L’arbitre souligne cependant que la politique de transport a été modifiée unilatéralement, alors qu’elle prévoit l’obligation pour l’employeur de consulter préalablement le syndicat. Or, les parties n’ont prévu aucune conséquence en cas de manquement à l’obligation de consultation de l’employeur. De plus, comme l’exigence d’une preuve vaccinale se serait appliquée aux salariés, et ce, peu importe que l’employeur ait ou non consulté le syndicat ou modifié sa politique, ordonner l’annulation des changements n’aurait aucune incidence concrète sur les droits des parties.

Pour ces raisons, l’arbitre rejette les griefs individuels, accueille partiellement celui ayant pour objet la modification unilatérale de la politique de transport et ordonne à l’employeur, pour l’avenir, de consulter le syndicat avant d’apporter des modifications à sa politique de transport.

À retenir

Cette sentence arbitrale est intéressante puisqu’elle rappelle, dans un premier temps, que le « statut vaccinal » n’est pas suffisant en soi pour constituer un motif de discrimination interdit par la Charte. Ainsi, dans cette affaire, le fait d’exiger une preuve vaccinale pour avoir accès au système de transport aérien ne constituait pas, a priori, une décision discriminatoire.

L’arbitre nuance toutefois cette affirmation en soulignant qu’il pourrait y avoir discrimination si l’employeur maintenait l’exigence d’une preuve vaccinale envers un salarié ne pouvant être vacciné en raison d’un motif protégé par la Charte, tel qu’une condition de santé particulière ou une croyance religieuse sincère. L’arbitre n’exclut pas qu’un employeur face à une telle situation doive contribuer à la recherche de solutions alternatives afin d’accommoder ce salarié.

*L’autrice aimerait remercier Noémie Célestin-Plante pour son aide dans la rédaction de cet article.


[1] 2023 QCTA 14

[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12.

[3] Paragraphe 18 de la décision.