Introduction
Dans une décision récente[1], la Cour d’appel du Québec rappelle qu’il n’y a pas seulement le motif du congédiement qui importe, mais également la façon dont on y procède. En effet, congédier un employé cavalièrement peut avoir un impact sur le délai de congé raisonnable (aussi appelé préavis de fin d’emploi) et constituer un abus de droit. Un employeur doit donc évaluer ses risques avant de :
- Refuser d’expliquer clairement les raisons du congédiement;
- Refuser d’offrir une lettre de recommandation; ou
- Congédier un employé sans l’avoir prévenu d’une insatisfaction à l’égard de ses services.
Afin de mieux comprendre la décision, il est pertinent de rappeler les faits de cette affaire.
Contexte
Le litige en cause opposait un cadre supérieur à une entreprise de logiciels spécialisée dans les chaînes d’approvisionnement et l’entreposage.
Embauché en 2013 à titre de vice-président senior des opérations, l’employé dépasse ses objectifs année après année et connaît un tel succès qu’il est promu au poste de vice-président principal des opérations globales.
Or, en mars 2017, le premier matin suivant le retour de ses vacances, il est convoqué par le président à un appel au cours duquel ce dernier le congédie en évoquant un problème de « cultural fit ». Le président refusera de lui expliquer ce que cela signifie.
À la suite de son congédiement, les parties ne réussiront pas à s’entendre sur les modalités de son départ. De plus, l’employeur refusera de rédiger une lettre de recommandation. Il faudra 20 mois avant que l’employé ne retrouve un emploi comparable, et ce pour un salaire 50% moins élevé.
Il institue donc une demande en justice afin de réclamer 18 mois de rémunération, 95 513$ en bonus ainsi que 50 000$ en dommages-intérêts pour abus de droit.
La décision de la Cour supérieure
Afin d’établir le délai de congé raisonnable auquel avait droit l’employé, la Cour supérieure a tenu compte des facteurs suivants :
- l’âge de l’intimé lors de son congédiement (49 ans);
- son nombre d’années de service chez l’appelante (3,66 années);
- la nature et l’importance de son poste au moment du congédiement;
- sa rémunération annuelle globale (600 000 $);
- l’état du marché du travail pour un emploi comparable dans la région de Montréal;
- le refus de l’appelante de lui fournir une lettre de recommandation pour l’aider dans sa recherche d’emploi; et
- le manque de transparence de l’appelante quant aux raisons du congédiement.
Après avoir pondéré ces différents facteurs et conclu que l’employeur a abusé de son droit, le juge de la Cour supérieure conclut que l’employé avait notamment droit à un délai de congé de 13 mois et des dommages-intérêts de 20 000$.
La décision de la Cour d’appel
- Le délai de congé raisonnable
L’employeur a contesté la décision de la Cour supérieure, jugeant le délai de congé trop élevé et argumentant que le manque de transparence et le refus de fournir une lettre de recommandation avaient été considérés à tort par le juge de première instance.
La Cour d’appel n’a cependant pas retenu la position de l’employeur. Elle rappelle que le délai de congé a pour objectif d’indemniser l’employé ayant droit à un délai raisonnable afin de se retrouver un emploi similaire à des conditions semblables. La Cour confirme qu’il peut être pertinent de tenir compte du manque de transparence de l’employeur quant aux motifs du congédiement afin de déterminer la durée du délai de congé. En effet, en l’espèce, ce manque de transparence l’a véritablement empêché de se retrouver un emploi rapidement. Étant incapable d’expliquer à ses futurs employeurs potentiels la raison pour laquelle il avait perdu son emploi, il lui a été difficile de convaincre ceux-ci de l’embaucher.
Toutefois, le refus de remettre une lettre de recommandation n’est pas un facteur pertinent pour l’évaluation du délai de congé raisonnable selon la Cour. Ce refus peut néanmoins constituer une faute distincte ouvrant la porte à des dommages-intérêts additionnels.
- Les dommages-intérêts additionnels
L’inquiétude, l’anxiété et le stress sont les conséquences normales d’un congédiement et sont compensés par le délai de congé. Toutefois, la Cour d’appel rappelle qu’un congédiement accompagné d’un comportement vexatoire, malicieux, ou empreint de mauvaise foi constitue une faute distincte donnant droit à des dommages-intérêts additionnels.
Dans cette affaire, l’employé a été congédié sans jamais avoir été averti au préalable d’une insatisfaction à l’égard de ses services. Au contraire, on vantait ses succès au sein de l’entreprise. De plus, le président l’a averti le matin même de son retour de vacances qu’il l’appellerait dans les minutes suivantes. Or, cette rencontre impromptue visait à lui annoncer son congédiement. Selon la Cour, le caractère soudain et imprévisible du congédiement ainsi que la décision d’effectuer celui-ci au téléphone alors que l’employé n’y était pas préparé peuvent constituer un abus de droit.
La Cour d’appel conclut également que l’employeur a été fautif en refusant de remettre une lettre de recommandation et en posant comme condition à la remise de cette lettre la signature d’une quittance. Ainsi, des dommages-intérêts additionnels peuvent être accordés dans de telles circonstances. Le montant de 20 000$, octroyé par la Cour supérieure à titre de dommages-intérêts additionnels, est confirmé en appel.
Quoi en retenir?
Le jugement de la Cour d’appel sert de rappel aux employeurs avant de mettre fin à l’emploi d’un cadre supérieur de manière cavalière. Un congédiement doit être planifié et motivé avec soin, et ce peu importe le poste de l’employé visé. À défaut de procéder au congédiement d’un employé dans les règles de l’art, l’employeur s’expose à une poursuite, des frais judiciaires et des dommages-intérêts. À tout cela s’ajoute également l’effritement du sentiment d’appartenance que ce type de pratique peut causer chez les autres employés. Comme le soulignait le juge de première instance : « Il n’existe pas de bonne façon de congédier quelqu’un, mais il y a de mauvaises façons de le faire […] ».
[1] Tecsys inc. c. Patrao, 2023 QCCA 879.