Dans une décision rendue en mars 2023, dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire[1], la Cour supérieure a condamné le syndicat à dédommager l’employeur pour l’entièreté des sommes que celui-ci a dû verser à ses salariés visés par une clause de la convention collective prévoyant une réduction du traitement salarial des retraités à partir de l’âge de 71 ans.
Contexte
Le litige entre les parties découle de l’ajout, suite à des négociations précédant la signature de la convention collective, d’une clause prévoyant que les salariés âgés de 71 ans et plus et recevant une rente de retraite verraient leur traitement salarial diminué de l’équivalent de la moitié de leur rente de retraite. Dans le cadre de la négociation de la convention collective et dans le but de faire face à des contraintes budgétaires, l’employeur avait proposé l’ajout de cette clause, sans pour autant fixer un âge à partir duquel la clause devrait s’appliquer. Le syndicat accepte cette proposition à condition que soit ajouté l’âge de 71 ans comme point de départ à la réduction, et ce, tout en sachant que les salariés affectés par cette modification n’étaient pas d’accord avec cet ajout et que, conséquemment, il avait l’intention d’en contester la validité par grief. Sans pour autant connaître l’intention syndicale, l’employeur accepte l’ajout proposé.
Le syndicat dépose un grief afin de contester la validité de cette clause et de réclamer des dommages‑intérêts pour les salariés ayant été directement affectés par son application. Le grief syndical est accueilli. Après analyse des faits entourant la négociation de cette clause ainsi que des dispositions pertinentes de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après la « Charte »), l’arbitre conclut que la clause n’est pas conforme à l’article 19 de la Charte, lequel prévoit que « tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel ». Plus précisément, concluant que l’ajout constitue une distinction discriminatoire fondée sur l’âge, l’arbitre la déclare inopérante et condamne l’employeur à payer des dommages‑intérêts aux salariés ayant subi une perte salariale en raison de son application. L’employeur conteste cette décision en Cour supérieure.
Ce que la Cour supérieure a décidé
Dans le cadre de son pourvoi en contrôle judiciaire, l’employeur demandait notamment à la Cour supérieure le remboursement, par le syndicat, des sommes qu’il n’a pas pu économiser ou qu’il ne pourra pas économiser en application de la clause parce qu’il tient le syndicat responsable du caractère illégal de la clause déclarée inopérante. La Cour se dit d’accord avec l’employeur sur ce point.
En effet, la Cour remarque que l’arbitre constate l’intention malicieuse du syndicat en proposant l’ajout de l’âge à la clause litigieuse, lequel est utilisé comme une monnaie d’échange pour obtenir les augmentations salariales et autres avantages offerts par l’employeur, alors que le syndicat avait ensuite l’intention de contester la validité de la clause en raison de son caractère discriminatoire. En dépit de cette constatation, l’arbitre ne retient pas la responsabilité du syndicat, étant donné que, selon elle, l’article 19 de la Charte prévoit que la responsabilité d’accorder un traitement ou un salaire égal, sans discrimination, échoit exclusivement à l’employeur.
Pour la Cour supérieure, ce raisonnement de l’arbitre est déraisonnable, étant plutôt d’avis que la perte subie par l’employeur est la conséquence directe de l’introduction malicieuse de l’âge de 71 ans à la clause litigieuse. Selon la Cour, la responsabilité du syndicat découle de sa mauvaise foi constatée, voire même dénoncée, expressément par l’arbitre qui va jusqu’à écrire que la tromperie en négociation s’est actualisée par l’arbitrage. Autrement dit, le fait que l’article 19 de la Charte s’adresse à « tout employeur » ne saurait exonérer le syndicat de sa mauvaise foi démontrée.
La Cour accueille partiellement le pourvoi en contrôle judiciaire et ordonne au syndicat de compenser l’employeur pour l’ensemble des sommes qu’il a dû verser aux salariés visés par le grief ainsi que pour les sommes qu’il n’a pas pu déduire de leur paye suivant la décision de l’arbitre. Ainsi, la Cour supérieure est d’avis que le syndicat est entièrement responsable des dommages subis par les salariés en raison de l’introduction, dans la convention collective, de la clause jugée discriminatoire.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision confirme le principe voulant que la négociation d’une clause contraire à la Charte dans une convention collective peut engager tant la responsabilité de l’employeur que celle du syndicat. Notons également que, selon cette décision, l’une ou l’autre des parties prenantes à la négociation peut assumer 100% de la responsabilité lorsqu’elle est de mauvaise foi et qu’elle ne fait pas la preuve qu’un partage de responsabilité différent serait plus approprié, comme c’était le cas en l’espèce.
Dans tous les cas, comme l’employeur peut également être tenu responsable des dommages subis par les salariés visés par une clause de la convention collective non conforme à la Charte, il est important d’analyser la conformité de toute clause ou modification proposée par le syndicat dans le cadre des négociations avant de donner son acceptation.
En terminant, soulignons que cette décision a fait l’objet d’une requête pour permission d’appeler à la Cour d’appel du Québec[3]. Nous vous tiendrons informés des développements subséquents dans cette affaire, le cas échéant.
L’autrice désire remercier Delphine Simard, stagiaire en droit, pour son aide dans la préparation de cet article.
[1] Université du Québec à Montréal c. Lamy, 2023 QCCS 629.
[2] RLRQ, c. C-12.
[3] Déclaration d’appel et requête pour permission d’appeler, C.A. Montréal, no 500-09-030492-235, 5 avril 2023.